Le côté pile du football millionnaire
Benjamin Adler
Michel Platini s'offusque du trop plein d'argent dans le football en Europe. Mais pour énormément d'agents et une très grande majorité des joueurs, le ballon rond est un bricolage permanent, sans garanti et sans règles claires. Première partie de l'enquête.
Le business du football est à l'image de la vie : disparate dans ses couches de population. Le strass et les paillettes, les nantis y goûtent, les autres en rêvent en silence. Il y a les premières classes prisées, avec le luxe, la gloire et tout le toutime, et la seconde, où des sièges contigus de ceux des voisins on regarde avec envie le champagne servi aux bien heureux, là juste devant, à quelques mètres. L'imagerie populaire se concentre sur les poches gonflées, quasi jamais sur les retournées. Combien sont-ils en France, agents et joueurs, à courir les petits cachets dans les centaines de clubs de National, CFA et CFA2 ? Beaucoup plus que l'infime minorité qui calcule ses commissions et salaires sur l'autel des triple 0. « Moins les clubs sont professionnels, plus c'est la foire d'empoigne. Il y a tellement de joueurs et tellement moins de règles, tacites ou non », nous avoue un agent français, licence FIFA par l'intermédiaire de son associé.
Sébastien ( on a changé le prénom à la demande de l'intéressé) a 28 ans. Le métier, ça fait cinq ans qu'il le pratique. Du haut de petite expérience, il peut témoigner du tintamarre : « J'aimerais bien arrêter les petits dossiers pour des commissions de 1000, 2000 euros qui parfois ne remboursent même pas les frais. Mais c'est difficile, tu dois aussi faire des paris, quitte à t'asseoir sur de l'argent pendant un certain temps. Mais en attendant, tu dois bouffer et pour ça faut caser des joueurs. Mais comme en CFA et CFA2 et dans certains clubs de National, les contrats ne sont pas professionnels tu dois trouver des arrangements sans avoir un quelconque cadre juridique qui te protège. »
Tout le monde n'a pas la chance d'avoir Kaka comme client...
1200 euros par mois
Un exemple très simple stigmatise le problème : un joueur de CFA2 est payé au « black », le plus souvent sur l'autel des sacro saintes primes de match uniquement. Il ne dispose d'aucun contrat en bonne et due forme. Logiquement, le club employeur ne dispose pas des outils légaux pour empêcher le joueur en pleine saison d'aller faire un essai avec un club qui lui, lui offrira un vrai contrat. « Mais t'es bloqué, le coach et le président te disent que si tu rates deux entraînements, tu n'es plus dans l'équipe. Donc plus de primes. Si l'essai ne fonctionne pas, quand tu rentres tu n'as plus rien », nous commente un ancien pensionnaire d'un centre de formation de Ligue 1. Ils sont légion les anciens espoirs à user les crampons sur les pelouses des divisions inférieures, faute du contrat espéré mais refusé.
Notre protagoniste gagne 1200 euros par mois. Ceux qui cumulent avec le chômage peuvent atteindre les 2000. Autant dire absolument rien sur un marché qui dans l'élite brasse des centaines de millions d'euros. La course à l'échalote fait des victimes. Impossible dans cette jungle de se lier contractuellement ou moralement avec un seul agent. « Les mecs ne font confiance à quasi personne. Le joueur t'écoute si t'arrive avec du concret. La grande majorité ne sont pas où ils devraient être à cause d'un mauvais choix de carrière orienté par un agent qui a pris sa commission et n'a pas fait le service après-vente. Donc ils sont méfiants. Mais comme tu peux mettre un joueur en National ou en CFA sans avoir d'agent, en fait tout le monde peut se dire agent. Beaucoup de joueurs passent par des relations, des amis ou même la famille. C'est du grand n'importe quoi », regrette Sébastien.
« La licence ne sert à rien à ce niveau là »
Lui gagne grosso modo 2000 euros par mois. Heureusement, ils ne sont que deux et son associé est occupé sur des dossiers plus rentables. Mais la stabilité, il peut l'oublier. Les compteurs sont remis à zéro à chaque mercato. Les coups de fil de clubs pour solliciter un de ses joueurs, c'est de la science fiction à la George Lucas. Lui, dix mois de l'année c'est hôtel deux étoiles, voiture de location, rendez-vous dans des clubs, matches le week-end. Des centaines d'heures parfois sans débouchées immédiats. « Quand tu vois le nombre d'agents en France, c'est obligé qu'il n'y ait pas du caviar pour tout le monde. Et comme une tonne de gars sans licence officient, ça rend le secteur encore plus difficile. Il faut tomber sur une perle et la conserver, sinon c'est la galère assurée pour beaucoup d'années. Cette licence, à ne niveau là ça ne sert à rien. Tout le monde promet monts et merveilles, c'est tellement facile d'enrhumer un joueur. Tous sont convaincus qu'ils peuvent jouer plus haut, et franchement 50% le peuvent. Et à Paris, c'est même 80% tellement le niveau est fort. »
Accueil 
